Lorna Bauer,
Marwan Sekkat
Yellow Flowers RGB separation (Baldwin), 2024
Lorna Bauer
Impression chromogénique sur papier Fuji Crystal Archive, 127 x 101,6 cm
La porte, Sbata, 2025
Marwan Sekkat
Datamoshing, 91,4 x 60,9 cm
Déjouer l’image, altérer la mémoire
Lorna Bauer et Marwan Sekkat se rencontrent à la frontière du visible. Leurs pratiques, bien que très différentes dans leurs origines et leurs médiums, partagent une interrogation commune sur l’image, sa matérialité, sa capacité à traduire une mémoire instable, fragmentée, mouvante. À travers la photographie, le glitch numérique, l’installation ou le travail en couches, iels abordent le territoire comme un palimpseste traversé de récits invisibles, d’héritages latents, de perturbations à révéler.
Dans Yellow Flowers RGB separation (Baldwin) (2024), Lorna Bauer photographie un champ de tanaisie à l’aide d’un procédé chromogénique qui dissocie les couches rouges, vertes et bleues de la lumière. Il en résulte une image vibrante, dédoublée, presque instable, où les contours tremblent et se fondent les uns dans les autres. Cette approche délicate perturbe notre perception. Ce qui semblait fixe devient mobile. Ce qui était net devient spectral. La nature est ici non pas documentée, mais altérée, transformée en surface sensible où la couleur agit comme mémoire diffuse. C’est une manière de traduire visuellement le trouble, l’incertitude, et peut-être une certaine perte d’ancrage dans le réel.
En dialogue, La porte, Sbata (2025) de Marwan Sekkat adopte une tout autre stratégie formelle, mais tout aussi brouillante. Par la technique du datamoshing, il déconstruit une image de porte traditionnelle, motif récurrent dans son travail, en laissant se télescoper les pixels, les textures, les erreurs numériques. Au sein d’un vortex de couleurs liquides, un tracé géométrique reste visible : une étoile, un cadre, une forme architecturale évoquant un seuil ou une frontière. Cette tension entre figuration et saturation numérique donne à l’œuvre une intensité visuelle et symbolique forte, évoquant la complexité d’une identité en mouvement, fracturée entre plusieurs territoires, le Maroc, le Québec, les mondes numériques.
Le point de jonction entre les deux artistes, c’est ce trouble, cette friction de l’image. Chez Marwan comme chez Lorna, l’altération visuelle n’est pas un accident : c’est une méthode, un langage. Le glitch, la distorsion, l’excès de couleur ou l’effacement deviennent les signes d’un territoire difficile à saisir. Ils révèlent les failles dans les récits dominants, les absences dans les représentations, les manques dans les archives.
Dans le cadre de Mémoire de l’avenir 2025, leur duo interroge le rôle des images dans la fabrique de la mémoire collective. Comment représenter ce qui fuit? Comment voir ce qui n’a jamais été montré? Leurs œuvres nous obligent à ralentir, à accepter le flou, le décalage, comme autant de moyens d’accéder à une autre forme de connaissance. Une invitation à regarder autrement ce que nous pensions connaître.
Texte par l’équipe AUM
BIOGRAPHIE Lorna Bauer
(elle)
Lorna Bauer utilise la photographie et la sculpture pour explorer les relations que les êtres humains entretiennent avec leur environnement. Ses projets sont souvent liés à des lieux précis, menant à des œuvres qui répondent à un contexte spécifique et témoignent d’une recherche matérielle et visuelle nourrie par les expériences et les dynamiques écologiques du monde habité.
Elle vit et travaille à Tiohtiá:ke/Mooniyang/Montréal, et son travail a été présenté dans de nombreuses expositions individuelles et collectives au Canada et à l’étranger : au Musée d’art contemporain de Montréal, à la Fonderie Darling (Montréal), à Franz Kaka (Toronto) ainsi qu’à la galerie Eleftheria Tseliou (Athènes). Elle a été artiste en résidence à Despina (Rio de Janeiro), aux Récollets (Paris), dans le cadre de la résidence Québec–New York, au Banff Centre et à l’Atlantic Centre for the Arts.
Ses œuvres font partie de collections publiques et privées, notamment celles du Musée d’art contemporain de Montréal et du Musée national des beaux-arts du Québec. Elle a reçu le Prix commémoratif Barbara Spohr pour la photographie contemporaine canadienne (2019) et a été finaliste du Prix Sobey pour les arts en 2021, représentant le Québec. En 2024, elle a reçu le Prix Gattuso. Au printemps 2025, elle présentera sa première exposition solo en Europe, Lotte, dans un Kunstverein à Dresde.
BIOGRAPHIE Marwan Sekkat
(il)
Marwan Sekkat est un artiste interdisciplinaire franco-marocain résidant au Québec. Sa démarche artistique crée des ponts entre l’expérimentation et le sensible. En mêlant des médiums numériques, comme la simulation informatique, l’automatisation, le glitch à des médiums issus de l'artisanat comme le tissage ou la broderie traditionnelle marocaine, il se réapproprie des parties de son identité et de son histoire familiale. Ainsi, il développe une grammaire de création qui porte en elle-même son héritage culturel. Ses recherches actuelles déconstruisent son rapport à ses identités culturelles et questionnent la transmission, entre mémoire individuelle et mémoire collective. À partir de souvenirs personnels et d’archives familiales, il développe un corpus où les médiums numériques dialoguent avec ceux de l’artisanat marocain, dans une démarche à la fois transdisciplinaire et décoloniale. Il est titulaire d’une maîtrise en création numérique de l’UQAT (Rouyn-Noranda), où son projet de fin d’études “Horos” a reçu le prix de la relève au FNC. Son travail a été présenté à l’Écart, au Musée d’Art de Rouyn-Noranda, à Eastern Bloc, au Livart ou à la Biosphère.